
Chacun te désigne par ce qu’il veut. Les grands hommes ne portent jamais un seul nom. Grand homme tu fus. Mais combien le savaient ? Ce n’est la faute à personne, c’est ton humilité qui a tout caché. Il a fallu, ce 28 décembre 2023 vers midi quand «certains sont venus te cogner à la porte pour que vous partiez». « Zouméya, achètes-moi un rasoir-bic et un miroir. Certains sont venus pour qu’on parte, j’ai dit que je ne suis pas encore prêt. Il faut que je sois prêt à leur retour ». La confusion dans l’âme, cette benjamine de tes sept filles t’apporte un rasoir sur le même air de plaisanterie que tu aimais entretenir avec tes 16 enfants. Tu insistes pour le miroir qu’elle finit par acheter. Tu t’arrange l’élégant visage jamais négligé en laissant la barbe. « Ici peut rester comme ça, c’est bon, s’ils reviennent je suis prêt ». Tu savais que ton compteur va bientôt s’arrêter et tu as mis quelques intimes dans la confidence. Ce n’est pas pour rien que tu vas insister pour quitter le lit de l’un des plus grands centres de santé de Lomé : « Je ne me sens pas à l’aise sur ce lit ; Abi que les enfants considèrent que je suis guéri», tu me le disais alors que je te rendais une dernière visite. Avec insistance, tu demandes à retourner dans ton lit. Te voici passer la dernière nuit au bercail, ils sont là, tu es enfin prêt. Tout l’entourage doutait de ce qui se prépare sauf toi. Tu ne délire pas, tu avais tous tes sens, alors que tu es au centre de toutes les attentions médicales et familiales. Dans la fièvre de la prière de zouhr, tu libères le dernier souffle. Inéluctablement, tu partais soulagé, avec un grand sourire. Mais tout autour de toi se démolissait. Malam Salé est mort, l’oreille qui s’en informe, le fait savoir à l’autre. Très peu étaient assez croyants pour retenir leurs larmes. La prière funèbre c’est pour le jour suivant sur le terrain du centre islamique de Kadhafi à Lomé. Ce vendredi après la prière de Djoumah, quand ton cadavre est déposé, c’était devant une immense foule inconsolable. Pour ceux qui te connaissent peu, ta vraie image s’est enfin révélée au monde. Polyglotte, certains de la communauté haoussa sauront que tu n’es pas haoussa ce jour. Pendant que le centre Kadhafi grouillait de monde venu pour ton denier au revoir, ils étaient nombreux déjà au cimetière d’Adéticopé qui attendaient ton corps, et c’est eux qui avaient raison. En effet, te voici enfin au cimetière. Mais tous ceux qui accompagnent ta dépouille ne pourront pas y accéder. La gestion des lieux craint que trop de monde va marcher sur les autres tombes qui risquent de s’effondrer. Quand ton corbillard arrive avec les motards de la police nationale, c’était impossible de rallier la tombe. Comme un trophée du ballon rond, ta seconde religion, ta dépouille passe au-dessus des têtes d’un bras à l’autre avec les takbirâts pour parvenir à cette tombe impatiente de te recevoir. L’émotion est grande, l’enterrement est fini et tu clôtures ainsi ta page. Rien, il ne reste de toi, sauf ta mosquée au rez-de-chaussée de ton domicile à Logopé. Alors que tu n’as pas voulu en faire une mosquée de vendredi, ce jour, comme un bonus posthume, le lieu va accueillir pour la première fois la prière de Djoumah dans la plus grande émotion par ton élève et neveu Dr Sani. De toi, il ne reste plus rien. A la communauté musulmane, qui ne te verra plus président du jury au concours national de récitation du Saint Coran, tu auras laissé l’héritage d’une voix coranique unique dans sa mélodie, ses refrains, ses relances dont toi seul détient les secrets. C’est grâce à cette voix que tu seras le premier candidat que ton pays va envoyer à l’extérieur pour un concours international de récitation du saint coran, c’était en Libye.
Imam Harmeïni, cette voix va te distinguer quand tu arrives en Arabie-Saoudite en 1978 avec le CEPD en études coraniques. Entre les deux villes saintes, tu y passes un long séjour académique couronné d’une Maitrise en droit islamique. Premier togolais dans ce milieu en quête de la science, les plus vieux de la génération actuelle de nos oulémas arrivent quand tu es déjà étudiant. L’on finit par t’appeler ‘’Imam Harmeïni’’, c’est-à-dire, Imam des deux mosquées saintes. Disposé à abandonner tes préoccupations pour servir ton prochain, ton humilité, ton altruisme, ta serviabilité à l’indigent et au noble, avaient tout caché de ta personnalité. Mais la communauté a beau témoigner, il faut avoir fait le Hadj avec toi pour évaluer jusqu’à quel point tu peux servir ton prochain. Les études terminées et revenu au pays, année pour année, tu as accompagné les pèlerins au hadj 30 fois. L’Arabie-Saoudite n’a pas de secret pour toi. Il te fallait pour sortir tel de telle difficulté, délier les chevaux pendant ce rite, ouvrir telle porte ou faciliter telle autre situation pour nos pèlerins. Si le Togo était frontalier du Royaume saoudien, à ton enterrement, les arabes seraient plus nombreux que nous. Tu as servi et ta communauté te l’as rendu si bien au dernier jour. Jamais notre génération n’a été témoin d’un aussi grand monde qui accompagne un corps. Un imam, l’imam Sabtiou, dans son sermon de vendredi disait qu’ « entre toi et Dieu il a dû exister quelque chose de secret ». Là où des oulémas entretiennent rivalités sur des thématiques qui divisent, ta voie est celle du rapprochement et personne ne trouve à ajouter quand tu te prononce. Imam des imams, ta voix est délibérative devant les grands sujets de mésententes conjugales, successorales, communautaires et religieuses. Les huit pages de cette édition ne pourront pas accueillir les témoignages te concernant. Baba, vieux, imam, tu as laissé un vide, Allah nous comble ce vide, qu’Il apaise les cœurs déchirés, qu’Il soude la vaillante progéniture dont tu es satisfais en partant comme tu l’as bien exprimé. Quand ils s’opposaient à ton retour à la maison, tu disais alors : « pensez-vous que vous n’avez pas pris soin de moi, Vous avez fait ». S’il alors un devoir à ta progéniture, c’est de prendre conscience que le Papa avait largement dépassé le cercle de la petite famille et donc de se comporter de façon à garder debout son nom, sa dignité que tu as su conserver. Tes 16 enfants doivent être conscients d’avoir eu un géniteur qui dépassait les simples dimensions nationales, ethniques, encore moins familiales. La progéniture doit nous faire le plaisir de préserver dignement l’image de cette icône. Oui, ta famille sait depuis ta mort que tu n’appartiens à personne. Tu t’es arrêté en si bon chemin alors que nous croyions pouvoir apprendre des pas de géant que tu posais. Allah nous aide, quand même, à t’imiter dans la mesure de ce qu’on peut et qu’il t’accorde la meilleure de ses Résidences.
La grande famille passe par nos colonnes ici pour exprimer gratitudes, implorer la reconnaissance d’Allah à cette population togolaise, cette communauté musulmane, ces proches et admirateurs qui ont été déplacés du Bénin, du Ghana par le décès d’Alassani Saliou.
La Rédaction
